Une arrivée chaotique

Putain, ce rose me sort par les yeux. J'en peux plus de voir ça tous les jours. Cette école, c'est comme quelqu'un qu'on aime pas : on n'a pas envie de voir sa sale gueule tous les jours. Et pourtant, on y est bien obligés. La différence, c'est qu'une personne, on peut la tuer. C'est plus compliqué pour un bâtiment. Ou alors, on appelle Miley Cyrus avec sa boule de démolition. Ça peut être une idée.
Un énième couloir couleur licorne se dresse devant moi. Je soupire bruyamment. A votre avis, si je repeignais les murs avec celui qui a conçu cette école, ça rendrait bien ? Peut-être. Le rouge, ça redevient tendance. Enfin, d'après les Barbies qui peuplent cet établissement. Il faut dire qu'elles ont la fâcheuse habitude de parler plutôt fort. Ce qui permet de surprendre des bouts de conversation assez intéressants, parfois. Et surtout compromettants. Je garde soigneusement tous ces ragots dans un coin de ma tête, bien au chaud. Si on vient m'emmerder, j'ai de quoi clouer le bec à bon nombre de gens. Je me réjouis d'avance de cette idée. Je ne me suis pas encore pris la tête avec qui que ce soit. Peut-être est-ce mieux ainsi, finalement. J'ai pas envie que ça dérape et que je fasse exploser la tête de quelqu'un par inadvertance. Oui, ça peut arriver. Il me suffit d'augmenter la pression dans la boîte crânienne. Simple comme un jeu d'enfants.
Je crois que j'ai marché sur quelque chose. Je baisse la tête. C'est un cahier. Il est noir. Bon choix de couleur. Si ça avait été rose pupute, j'aurais pété un câble. Je le ramasse, et regarde à qui il peut être. Rien de compliqué, il n'y a qu'une seule personne dans ce couloir, et elle est affalée par terre, ramassant ses affaires en pleurant. Âme sensible ou alors elle vient de se faire larguer. Dans tous les cas, je ne vais pas aborder le sujet.
Je me dirige vers la fille puis lui tends le cahier.

- Tiens.

Je lui souris, pour la mettre en confiance. Ses cheveux sont blancs. Décidément, moi qui avais peur de passer pour la fille bizarre, avec mes cheveux bleus, je n'ai plus de quoi. Anko a les cheveux rouges, et j'ai déjà vu d'autres personnes avec des couleurs de cheveux improbables, comme rose (oui, je sais...) ou bien vert.

En attendant sa réponse, j'ai l'impression d'assister à une véritable bataille intérieure. Je ressens une force, en cette fille. Et de mauvaises ondes. C'est bizarre. Est-ce que c'est une sorcière ? Un troll déguisé ? J'en sais foutre rien. Je ferais peut-être mieux de lui demander. Quand on se connaîtra un peu plus. Ou pas.
Finalement, elle me prend doucement le cahier des mains, comme un petit animal sauvage et craintif prendrait le bout de pain qu'on lui tendrait. Cette fille est décidément étrange. L'ironie du sort. Moi, la fille qui pourrait à cet instant arrêter le cœur de chaque personne dans un rayon d'environ un kilomètre, je la trouvais elle bizarre ?

- Mer... merci...

Sa voix est tellement faible que je dois tendre l'oreille pour l'entendre. Elle ébauche un sourire timide, encore plus que les miens, mais peut-être aussi faux également. Bon, voyons le bon côté des choses, je n'ai pas affaire à une Barbie. C'est un peu le contraire, en fait. Elle porte une cape rouge qui me fait penser à celle du Petit Chaperon rouge. En plus, cette fille est relativement petite. Mais comme on dit, mieux vaut se méfier de l'eau qui dort. Je dormais bien, moi, juste avant de commettre un meurtre. Involontaire, certes, mais il n'en reste pas moins que j'ai les capacités de tuer. Elle aussi ?
Elle me tend un papier semblable à celui que j'ai reçu lors de mon arrivée ici.

- Peux-tu me lire le nom de mon dortoir ? Je ne sais pas lire...

Elle... quoi ? Ses yeux interrogateurs croisent les miens qui, eux, sont interloqués. Elle ne sait pas lire ? Je me demande un instant si elle ne plaisante pas, que je vais voir une caméra et un caméraman sortir du pot de fleur dans le coin en criant ''Vous avez été piégée !'' et qu'on verra ma tête à la télé dans l'émission ''Vous êtes des pigeons''. Mais non, elle est bel et bien sérieuse.
Je baisse les yeux sur le petit papier que je viens de lui prendre. ''Hataru Takami, dortoir Améthyste. Première année.'' Ces informations sont suivies d'autres qui me semblent confidentielles, comme son adresse etc, et je quitte le papier du regard pour le poser sur la fille. Sur Hataru, pardon.

- Tu es dans le dortoir des améthystes. Me demande pas où c'est, je sais pas du tout, j'ai déjà eu du mal à trouver le mien... Je m'appelle Rebecca.

Le visage d'Hataru se risque à un autre sourire, qui me parait bien mieux réussi que le premier, probablement parce que cette fois-ci il est vrai. Enfin, je suppose.

- Merci ! Je vais essayer de trouver ma chambre toute seule, ne t'en fais pas... Même si ces couloirs me donnent un peu mal à la tête... Je devrais y arriver !

Sa voix a prit un peu plus d'assurance. C'est déjà un bon début. J'espère. Cependant, je ressens de plus en plus d'ondes négatives, tout le contraire de l'attitude qu'elle présente. Vraiment étrange.
Je hoche la tête à son attention. Elle poursuit :

- Euuuh... J'aime beaucoup... Tes cheveux ! Ils sont très jolis ! J'aimerais réussir à les attacher moi aussi, mais je ne suis vraiment pas douée pour ça...

J'ai presque envie de rire. On me fait un compliment, à moi ? Waw. J'aurais pas été plus surprise de voir ma mère débarquer ici en disant ô combien je lui ai manqué.
Bah voyons.
Je trouve l'attitude d'Hataru assez drôle dans le sens où on dirait une petite fille. Vous savez, le genre d'enfants qui pourrait vous dire que vous êtes moches, mais que ça passerait quand même, parce que ''Elle est trop mignoooonne !''. Ou alors le genre de gosse qui vous offre un caillou pour votre anniversaire. Vous voyez.

- Je te remercie ! Les tiens aussi sont beaux, c'est rare le blanc.

Je ne lui demande pas s'ils sont naturels, car ça se voit : ses cils et sourcils sont de la même couleur. Ses yeux, en revanche, sont rouges. Ils me rappellent ceux d'Anko. Un petit peu. Parce que ce qu'on y lit est tout à fait différent. Dans ceux de mon amie, on y trouve toutes sortes d'émotions. Dans ceux d'Hataru... je ne sais pas. C'est confus. Comme si... comme si elle passait d'une personnalité à l'autre.
J'arrête de la regarder trop attentivement. Elle va croire que je suis une psychopathe. Et j'en suis pas une. Enfin, pas tout à fait.

Hataru se retourne, et son visage affiche une expression interloquée comme si je l'avais insultée. Ou plutôt comme si je faisais le poirier avec un déguisement de sardine en chantant la chanson adéquate.
Euh, j'ai dit un truc qu'il fallait pas ?
Je crois que sa bataille intérieure est de retour. Je crois aussi qu'elle est plus mouvementée. Cette fille a probablement besoin d'aide.

- NON !

Soit elle peut lire dans mes pensées, et dans ce cas, elle n'a pas besoin d'aide, soit au contraire elle en a besoin parce qu'elle a des spasmes bizarres. Elle est peut-être pas toute seule dans sa tête. Oui, ça doit être ça !
On dirait qu'Hataru se livre en bataille contre elle-même, les larmes commençant à lui monter aux yeux. Cette fille a vraiment l'air fragile. Le regard qu'elle me jette contient tout le désespoir du monde.

-  SORTIIIIIIIIRRRR !!!!

Je sursaute. Cette voix n'est pas celle d'Hataru. Elle est beaucoup plus grave et menaçante. Rien à voir avec la petite voix frêle et timide. Qu'est-ce qu'il y a dans ta tête, Hataru Takami ? Je ne sais pas vraiment si j'ai envie de le savoir.

- PLUS JAMAIIIIIS !

Sa voix est de retour, mais cette fois-ci elle avait crié. Ça fait trois faces de sa personnalité auquel j'ai eu droit ces dernières minutes. Ou peut-être ses trois personnalités. Possible. Je suis sûre qu'il y a au moins quelqu'un d'autre sous ses cheveux blancs.
Hataru s'écroule à genoux, comme épuisée. Je ne sais pas si je dois partir en courant avant de me faire tuer ou bien l'aider quand même. Après tout, il y a bien des gens qui m'ont aidée, eux. Et pourtant, je risquais de les tuer. Même s'ils n'étaient pas au courant.
Je me penche vers la fille en lui tendant la main. Je sais que ce simple geste peut représenter beaucoup.

- Est-ce que... tu vas bien ?

J'ai un peu peur que son autre moi me morde. Ou qu'il fasse autre chose de beaucoup plus violent. N'oublie pas, Rebecca. Tu peux contrôler.
Mais oui, je peux !
Je me concentre puis m’immisce dans son esprit. Je ne compte pas tout chambouler, juste regarder. Hataru ne peut pas savoir que je regarde dans sa tête, ni quiconque sur qui j'utilise mon pouvoir. Ok, ça y'est, j'y suis.
C'est quoi ça... Je peux sentir toutes les connexions dans son cerveau mais impossible d'y avoir accès. Comme si y'avait un cadenas. Ou des millions, plutôt. Son esprit est juste fermé. Je suis sûre que si je retente le coup plusieurs fois, je pourrais voir. Pour ça, il faudrait que je sois amie avec elle. Je peux toujours essayer.

Au moment où je pense qu'elle allait tout simplement refuser mon aide et me dire d'aller me faire voir, Hataru m'attrape la main et se redresse.

- Je suis désolée, tellement désolée... Je souffre de... Skizau...Scyzo...frainy... Enfin... c'est compliqué...

Alors j'avais raison ? Cette fille a vraiment quelqu'un d'autre qui habite là-haut. Et quelque chose me dit que cette personne n'est pas très sympa. Voire pas du tout. En tout cas, Hataru n'a pas vraiment l'air de contrôler entièrement cet autre ''moi''.

- Schizophrénie ? Ça doit pas être facile. Tu possèdes combien de personnalités, au juste ?

Je décide de donner une petite chance à cette fille. La pauvre, quand même.